Al-Azhar, le ministère de la culture et le film de "Noé"

Par Pr Oussama Nabil

  • | Sunday, 24 May, 2015
Al-Azhar, le ministère de la culture et le film de "Noé"

Par Pr Oussama Nabil

Professeur à l'Université Al-Azhar

Directeur général de l'Observatoire de l'Azhar

 

Des querelles intellectuelles se sont déclenchées, ces derniers jours, entre Al-Azhar et le ministère de la culture. Le premier étant le gardien de l’Islam du juste-milieu non seulement en Égypte mais aussi dans le monde musulman et le deuxième étant le gardien de l’identité culturel du peuple égyptien.

Lorsqu’Al-Azhar a donné un avis défavorable concernant la diffusion du film Nouh « Noé » de Darren Aronofsky car le film est contraire aux principes de l’Islam, Dr Gaber Asfour a accusé Al-Azhar d’être contre la liberté d’expression et de créativité. Ses propos agressifs à l’égard de quelques imams éminents d’Al-Azhar ont fâché le Grand Imam.

Dr Gaber Asfour a pris l’initiative de rendre visite au Grand Imam au siège de l’imamat pour éclaircir son point de vue et de confirmer le rôle culturel et surtout religieux d’Al-Azhar.

Depuis cette rencontre la presse égyptienne a publié des articles soulignant l’écart intellectuel entre l’institution d’Al-Azhar et le ministère de la culture, au lieu de rapprocher les points de vue.

Sans entrer dans les détails des articles et la déclaration d’un des grands écrivains égyptiens qui considère l’Université Al-Azhar comme le centre du terrorisme en Égypte et réclame d’annexer l’Université d’Al-Azhar à l’Université d’Ain Shams, je me permets de dire à cet écrivain qu’il est impossible d’effacer mille ans de l’histoire de l’humanité. Je l’invite à repenser ses déclarations inutilement agressives contre l’Université Al-Azhar qui comprend 70 facultés et accueille 250000 étudiants.

L’objectif de mon article n’est pas d’aggraver le différend entre deux grandes institutions -Al-Azhar et le ministère de la culture- mais d’affirmer que les deux institutions doivent se compléter. L’Égypte a de la chance d’avoir une institution religieuse ouverte telle qu’Azhar dont l’histoire est riche dans le domaine de l’enseignement religieux, scientifique et culturel. La Mosquée de l’Azhar avec ses arwika « salle des cours sous forme de cercles » remonte à l’époque fatimide est devenueau fil des siècles une des plus grandes et importantesuniversités dans le monde musulman. Les chefs-d’œuvre de ses oulémas ont, d’ailleurs, marqué l’évolution de la pensée humaine en générale, et la pensée musulmane en particulière.Le grand prix de la traduction au ministère de la culture porte le nom de Rifaa el-Tahtawi, une grande figure azharienne dont l’œuvre témoigne de l’ouverture sur le monde extérieur.

La discorde entre Al-Azhar et le ministère de la culture n’est pas fondée sur un vrai écart intellectuel mais plutôt sur le rôle particulier que doit jouer chaque institution. 

Al-Azhar est une institution scientifique et religieuse dont le rôle est de réaliser l’équilibre social et religieux dans la société. Il empêche l’excès ou l’adultération de la religion.

Le ministère de la culturejoue un rôle important dans la diffusion des idées éclairées de l’Islam et des musulmans selon les principes et les critères de l’Islam ainsi que la tradition et la culture égyptiennes. Le mariage entre les principes de l’Islam et la tradition est une des missions la plus importante du ministère de la culture.

L’Islam n’est pas contre la créativité. L’art musulman intéresse les chercheurs de tous les coins du monde. Il est témoin d’une grande civilisation. Les traces de cette civilisation sont remarquées non seulement dans des pays arabes mais aussi asiatiques. En Europe, l’Andalousie ébahitencore de nos jours ses visiteurs grâce à l’art musulman. Les écrivains musulmans ont enrichi les bibliothèques du monde entier. J’invite les oulémas d’Al-Azhar et les responsables des différentes secteurs du ministère de la culture de relire Ibn Rochd « Averroès » surtout son enseignement : « L’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine, la haine conduit à la violence. »

La violence verbale que nous lisons dans les journaux ces jours-ci est le résultat de l’ignorance. Il ne s’agit pas de l’ignorance culturelle mais le refus de l’Autre ou la peur de l’Autre ! Philippe Lejeune, le grand critique français avait raison d’intituler son ouvrage : « Je est un autre »

En guise de conclusion, j’aimerais dire aux intellectuels égyptiens occidentalisés : l’ouverture à la culture de l’Autre est importante, voire nécessaire, la connaissance de notre culture et de notre histoire est un devoir national. Je vous invite à voir votre histoire et votre civilisation par les yeux des patriotes, non pas les yeux des étrangers.

 

 

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