L’Hégire du prophète : histoire et moralité

  • | Monday, 2 November, 2015
L’Hégire du prophète : histoire et moralité

Par Dr. Sami Mandour
Professeur à la Faculté de langues, université de l’Azhar

    L’hégire  du messager d’Allah, à lui bénédiction et salut, représente une étape tranchante et un moment charnière  dans la mission du prophète et même dans l’histoire de l’Islam dans la mesure où elle sépare entre deux périodes : celle mecquoise où les musulmans ont été persécutés et ont souffert de toute sorte de difficultés et de torture de la part des quoraychites et celle médinoise où les musulmans commencèrent à avoir une entité particulière et  à fondre un Etat reconnaissant la multiculturalité  et la pluralité  religieuse.
    Causes de l’émigration
    De manière générale, « émigrer » veut dire quitter son pays  pour rejoindre un autre. Les raisons en sont multiples : gagner son pain,  faire du commerce, résider d’une manière permanente, faire des études et enfin chercher refuge et un lieu de sécurité en fuyant la torture,  la persécution  et la souffrance que lui font subir ses concitoyens. Le Coran le mentionne explicitement dans la Sourate An-Nisâ’ : « Et quiconque émigre dans le sentier d'Allah trouvera sur terre maints refuges et abondance. Et quiconque sort de sa maison, émigrant vers Allah et Son messager, et que la mort atteint, sa récompense incombe à Allah. Et Allah est Pardonneur et Miséricordieux » (Verset n°.100). Celui qu’on appelle Mouhadjir aujourd’hui est la personne qui abandonne ce qu’Allah a interdit comme le dit le prophète : walmouhadjir man hadjar manaha allahou ‘anhou ».
    Dès le début de la mission du prophète, à lui bénédiction et salut, ses concitoyens ont mal accueilli sa religion bien que celle-ci  les ait invités à accomplir toute sorte de bien et à éviter tout mal car le prophète est envoyé comme le dit le Coran en vue de faire sortir les gens des ténèbres de l’incroyance et du polythéisme aux lumières de la foi et du monothéisme (croire à l’unicité d’Allah). A ce propos, Allah dit : « Alif, Lam, Ra. (Voici) un livre que nous avons fait descendre sur toi, afin que - par la permission de leur Seigneur - tu fasses sortir les gens des ténèbres vers la lumière, sur la voie du Tout Puissant, du Digne de louange », 5 S. Abraham, V.1)
Les musulmans ont subi donc de l’oppression, de la torture et de la persécution à la Mecque par la puissante tribu de Quraysh. Ils n’étaient pas alors dans la mesure de faire face à de telles opérations  vu leur petit nombre et leur rang moins élevé au moins pour certain d’entre eux. Ayant porté plaine au prophète, à lui bénédiction et salut, ce dernier leur demandait de se faire patienter jusqu’à ce qu’Allah leur accorde une autre issue.
L’idée même de l’émigration n’était pas neuve dans la vie des musulmans à la Mecque car le prophète, à lui bénédiction et salut, vu la situation délicate de ses compagnons, leur  permit d’émigrer vers l’Abyssinie (l’Ethiopie) car, leur dit –t-il, il y a un roi (Négus) auprès de qui personne ne sera lésé.  Ce qui montre que le prophète était au courant des situations politiques dans les pays plus ou moins lointains hors de la péninsule arabe  d’une part et qu’il inaugura ainsi les relations islamo-chrétiennes pour la première fois dans l’histoire de l’Islam. Le choix de l’Ethiopie était pertinent du fait que la suprématie des mecquois ne s’était pas étendue vers ce pays. Il serait donc un lieu sûr du refuge pour les musulmans. Raison pour laquelle il était la destination des musulmans persécutés deux fois et ils y restaient même jusqu’à la signature du Pacte de Hoydaybiah.
    L’émigration vers Médine (déjà Yathrib) survint dans un contexte pareil où le prophète et les musulmans ne purent plus supporter la persécution. La Mecque devint un lieu menaçant et défavorable à la da’wa du prophète surtout après certains événements marquants dans la vie du prophète, à lui bénédiction et salut, à savoir: la mort de son principal protecteur, son oncle Abou Talib, celle de son fidèle épouse Khadijea qui le soutenait dans toutes les circonstances, le mauvais accueil du prophète à Ta’if  et enfin l’attentat comploté et perpétré contre  le prophète. Ces événements incitèrent le prophète d’abord à  permettre à ses compagnons d’émigrer vers Médine  individuellement les uns après les autres.
Cependant la décision du prophète d’émigrer lui-même en personne n’était pas prise hâtivement. Mais elle était bien réfléchie. La manière par laquelle le prophète procéda à émigrer était si minutieusement planifié que le musulman  apprend à mieux organiser sa vie et son temps et ne rien faire sans  avoir un plan préétabli et bien préparé  tout en se conformant aux ordres divins. Partant de celui-ci, le prophète, à lui bénédiction et salut, comme le rapporte Al-Boukhari et Mouslim d’après Abou Moussa: "J'ai vu en vision que j'ai quitté la Mecque définitivement pour m'installer sur une terre qui abrite une palmeraie et j'ai cru qu'il s'agissait soit de Yamama, soit de Hadjar… A ma grande surprise, j'ai su par la suite qu'il s'agissait de Médine-Yattrib…"
 Le prophète, à lui bénédiction et salut, se mit d’abord à mener des négociations avec les tribus de la Péninsule arabe  telles que Banou Hanifa, Banou ‘Amer ibn Ça’ça’a, Banou Kalb, Banou Chayban, mais ceux-ci n’étaient pas favorables à l’appel du prophète. Il se dirigea ainsi vers les tribus de Yathrib et rencontra six jeunes venant de Yathrib  de la tribu al Khazradj  et leur parla de l’Islam. Les habitants de Yathrib étaient prêts à accepter le message du prophète car d’une part les juifs leur annonçaient toujours l’arrivée d’un juif à la fin du temps et d’autre part parce qu’ils souffraient durant cinq ans  d’une guerre atroce et violente entre al Aws et Al Khazradj. De lors, ils s’attendaient à se délivrer de cette situation  désastreuse. Mohammad pourrait donc présenter cet espoir. Les six embrassèrent donc l’Islam.
 L’année d’après, ils étaient au nombre de douze, huit de Khazradj et quatre  de ‘Aws. Ils embrassèrent l’Islam et prêtèrent serment d’allégeance au prophète (le premier serment d’allégeance d’Al ‘Aqaba)  de ne point tuer, de ne pas voler, de ne pas forniquer, et de ne pas tuer leurs enfants. Le messager d’Allah insista cette fois sur les principes et les valeurs qui doivent gérer la vie des hommes en société. Cette fois-ci Mous’ab Ibn ‘Oumayr, le premier ambassadeur en Islam, partit avec eux pour leur apprendre la religion et entreprendre la tâche de la da’wa. L’Islam pénétra la plupart des maisons de Yathrib. Le prophète demanda de les rencontrer à la saison du pèlerinage.
Une délégation de soixante treize hommes et deux femmes répondirent à l’appel du prophète et vinrent  à la Mecque en prenant toutes les précautions nécessaires pour être loin des yeux des Qoraychites. La rencontre eut lieu la nuit à Al ‘Aqaba. Les femmes mêmes assistèrent à cet événement pour montrer jusqu’à quel point la femme musulmane pourrait participer à la vie publique. Hommes et femmes, tous, prêtèrent serment au prophète de lui obéir dans la guerre et dans la paix, de dépenser en temps d’aisance et de dénuement, de recommander le bien et de prohiber le mal, de défendre la vérité sans craindre personne et de le protéger contre ce dont ils protégeraient leurs femmes et enfants. C’est ce qu’on appelle le second serment d’allégeance d’Al ‘Aqaba   La récompense promise ne sera que le paradis. Médine était,  alors après ce second serment d’allégeance, prête à accueillir le prophète qui attendait toujours l’ordre divin.
     Quelques mois plus tard, tous les compagnons émigrèrent en cachette pour la plupart et ne resta avec lui qu’Abou Bakr qui allait être son compagnon de route. Les musulmans qui s’étaient installés jadis à Yathrib commencèrent à  propager le message de l’Islam parmi les habitants de façon à former une communauté musulmane de plus en plus nombreuse.  Allah autorisa le Prophète  à quitter la Mecque surtout après l’avoir informé  sur ce que les Qoraychites complotaient à Dar An-Nadwa  où ils  avaient enfin décidé de tuer le prophète. Le Coran raconte ce qui se passa dans ces discussions malicieuses : « (Et rappelle-toi) le moment où les mécréants complotaient contre toi pour t'emprisonner ou t'assassiner ou te bannir. Ils complotèrent, mais Allah a fait échouer leur complot, et Allah est le meilleur en stratagèmes. ( S.Al Anfâl, les butins, V.30).
 Le messager d’Allah, à lui bénédiction et salut,  avertit aussitôt Abou Bakr et lui demanda de faire les préparatifs du voyage en attendant le moment propice pour quitter la Mecque vers Médine. Il  demanda également à  ‘Ali de prendre sa place dans son lit.  Ceci fut pour tromper les Quraychites en leur faisant croire que le Prophète n’avait pas quitté la maison.  Laisser ‘Ali derrière lui avait aussi un autre but : rendre les dépôts à leurs propriétaires pour  honorer et glorifier cette valeur de la loyauté, Amanah.  Heureusement ‘Ali  fut sauvé et leur complot fut échoué.
     Cet acte constitua une partie du plan déjà établi par le prophète pour mener à bien son émigration et fuir les Quoraychite. Nous mentionnons d’autres  actes qui en faisaient partie: louer  deux montures et les cacher chez Abou Bakr, se rendre chez Abou Bakr dans une heure inhabituelle, voiler son visage, confier à Asmaa, fille d’Abou Bakr, l’affaire des provisions, sortir  par une issue derrière la maison, suivre une itinéraire inhabituelle pour les Quoraychites, de recruter Abdoulaah Ibn Abou Bakr pour venir le soir leur donner les nouvelles de la Mecque, avoir un guide, même incroyant,  Abdoullah ibn Orayqit, avoir Amer ibn Fohaïra, le berger, pour faire disparaître les traces de leurs pas, passer trois jours dans la caverne Thawr, une caverne si dangereuse qu’Abou Bakr avait peur pour la vie du prophète, mais le prophète l'a rassuré et le Coran  le raconte : « Si vous ne lui portez pas secours... Allah l’a déjà secouru, lorsque ceux qui avaient mécru l’avaient banni, deuxième de deux. Quand ils étaient dans la grotte et qu’il disait à son compagnon: «Ne t’afflige pas, car Allah est avec nous." (At-Tawba (Le Repentir) : 40). Abou Bakr entra donc le premier pour inspecter la caverne et s’assurer qu’il n’avait rien à craindre en vue de donner un  exemple d’abnégation totale.
Malgré la poursuite continue de la part des Qoraychite, le prophète, à lui bénédiction et salut,  grâce au soutien et au secours d’Allah puis grâce à ce que le prophète et son compagnon ont planifié en essayant de se servir de tous les moyens possibles pour réussir leur émigration, ils arrivèrent sains et saufs à Médine après être passé certain temps à Quibâ’ où il mit les assises d’une mosquée.une geste qui montre l’importance catégorique de la mosquée dans la vie des musulmans.  Toute Médine sortit pour accueillir chaleureusement le messager d’Allah avec une joie incomparable, une arrivée qui annonce une nouvelle étape dans l’histoire de l’Islam, une époque où l’Etat de l’Islam commença à se former, où la fraternité, l’altruisme, l’abnégation et le sacrifice étaient les valeurs dominantes et où les musulmans réussirent à réaliser une coexistence pacifiques avec les autres entités vivant alors à Yathrib devenue  Médine et à donner un exemple frappant d’une société idéale gérée par les valeurs humaines universelles que prônent pour toujours le Coran et la Sunna authentique du prophète, à lui bénédiction et salut.
Références :
1-    تقريب السيرة النبوية  لابن هشام للشيخ محمد الشبراوى، الحلبى1961  ( باللغة العربية)  
2-    الرحيق المختوم لصفى الرحمن المباركفورى، دار السلام ،1999 (باللغة الفرنسية)
3-    فقه السيرة للشيخ الغزالى، دار القلم ، دمشق، 2010 ( نسخة الكترونية باللغة العربية)

 

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Categories: L'Islam
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