L'Etat Islamique et le Califat

Par : Radwan El-Sayed

  • | Saturday, 30 May, 2015
L'Etat Islamique et le Califat

L'Etat Islamique est une notion relativement récente. Elle a été utilisée pour la première fois par les voyageurs et les historiens Byzantin pour désigner les territoires soumis à la souveraineté Ottomane. Quant à la notion que les historiens et les Musulmans ont l'habitude d'utiliser, c'est plutôt Dar Al-Islam, qui désigne, d'après eux, le territoire dont la majorité des habitants est Musulmane, et où Musulman, Chrétien et Juif vivent en sécurité, et les rites et les pratiques cultuelles de l'Islam sont librement exercés.

Lorsque les Anglais ont occupé l'Inde et se sont emparés progressivement du Sultanat mongol là-bas jusqu'à entraîner sa chute à la suite de la rébellion de 1875, certains jurisconsultes ont estimé, au début du 19ème siècle, que ces territoires ne sont plus Dar Al-Islam. En revanche, d'autres jurisconsultes ont contesté cet avis en disant que les Anglais sont des ennemis à qui on doit résister, mais les territoires restent toujours Dar Islam, un territoire islamique, car les Anglais n'attaquent ni  les mosquées des Musulmans ni leur culte. Ces derniers se sont appuyés sur le fait que le Sultan Ottoman, en perdant la Crimée lors de sa guerre avec les Russes, a stipulé dans le traité de Koutchouk-Kaïnardji en 1774, que les Musulmans n'ont pas à quitter ces territoires tant que leur culte, leurs mosquées, leurs biens de mainmorte (Waqfs) et leurs juges, sont maintenus.

Cette polémique se reproduit à chaque fois que les habitants Musulmans perdent leur territoire suite à une occupation, à partir de la Sicile et l'Andalousie, passant par l'Inde, l'Algérie et l'Asie central, jusqu'à l'Egypte et le Soudan. Certaines émigrations ont eu lieu des territoires occupés, étant donné que la colonisation ou l'occupation, enlève le caractère islamique du territoire. Cependant, nous avons trouvé plus tard que l'émigration de la Sicile et de l'Andalousie était plutôt forcée et pas un choix religieux.

Sur ce, les jurisconsultes Hanafites en Asie Central, se sont appuyés sur cette preuve dans les années quatre-vingts du 19ème siècle, et avant cela en Algérie dans les années trente et quarante du même siècle, en résumant ainsi leur avis : "l'occupation ne change pas l'identité du territoire, l'émigration pourrait ainsi rendre nulle la résistance et le caractère islamique reste valable tant que l'exercice du culte est assurée et la vie est sauvée". A ce propos, ils ont cité le verset où Allah, le Très Haut, dit : « Allah ne vous défend pas d'être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allah aime les équitables » (Sourate Al-Mumtahanah (l'Eprouvée), verset 8).

Par ailleurs, parler de l'"Etat Islamique" en tant l'Etat légitime, ou le pouvoir ayant la légitimité islamique, c'est plutôt une idéologie contemporaine, née à partir des événements ayant eu lieu dans les années tente, quarante, cinquante et soixante du 20ème siècle. Celle-ci est basée sur des idées et des tendances ayant vu le jour dans un contexte où l'on craint de perdre notre identité menacée par l'occidentalisme et de la colonisation.

Et puisque la suprématie était à la majorité écrasante de la population en Inde, cette idée s'est développée chez la Ligue Islamique et Abu al-A'la al-Mawdûdi, fondateur d'al-Jama'a Al-Islamyah, pour mener enfin à la séparation des régions majoritairement musulmanes sous le nom de Pakistan[1] en 1947. Cela a créé un problème pour les Musulmans restés en Inde, puisque ils se sont trouvés minoritaires face à la majorité de la population adoptant une autre confession, et aux soupçons mutuels. En plus, cette séparation n'a pas réglé les problèmes des Musulmans indépendants au Dominion du Pakistan, puisqu'ils se sont divisés en deux pays sur une base ethnique. Malgré le fait que la dernière division n'a pas eu lieu au nom de la religion, les mouvements les plus extrémistes, parmi eux, ont vu le jour à cette époque là et restent encore jusqu'aujourd'hui.

Le dernier cri des manifestations de cette tendance séparatiste, qui relie la légitimité du système politique de l'Etat à la religion dans une compréhension spécifique, est la restitution du premier califat, à savoir al-Khilafah ar-Rachidah (Califat Bien Guidé), considérant que c'est la seule forme qui donne un pouvoir légitime au nom de la religion. Celui qui n'adopte pas une telle attitude n'est pas donc un bon Musulman.

Nous sommes donc devant une ou plutôt deux tendances ; la première considère le système politique comme étant l'un des piliers de la religion, tandis que la seconde considère la forme qu'avaient choisie les Musulmans pour le pouvoir après la mort du Prophète, à lui bénédiction et salut, comme la seule forme permettant de réaliser la légitimité et la  Charia. Il s'agit donc de deux tendances jamais connues ni par l'Islam ni par l'Ijtihad (efforts de réflexions) des Musulmans. De plus, elles sont sur le point de diviser et ravager les pays, les sociétés et l'Islam même !

En effet, l'école Sunnite soutient que le système politique, y compris certainement le califat, fait l'objet de choix de la part des citoyens. Les Musulmans ont donc la possibilité de changer et d'évoluer en fonction de ce qu'ils estiment comme intérêt général. L'identité religieuse en Islam ne dépend point d'un système politique dominant, mais ce sont les Musulmans qui la définissent plutôt par leurs croyances, actes cultuels et comportements. Le système politique n'en fait partie car il n'est ni partie de l'Islam ni une nécessité religieuse.

La nécessité logique et légale est plutôt l'existence du pouvoir dans toute société dans le but de préserver les intérêts des gens, d'assurer leur sécurité et de repousser toute agression extérieure. Elle n'a donc pas de rôle religieux à jouer et ne dépend pas intrinsèquement de la religion ! Cette nécessité n'est pas, non plus, liée à une forme précise. La preuve en est que la plupart des Musulmans, tout au long de l'Histoire, ont passé du califat au Sultanat, à l'Émirat et à d'autres régimes politiques. Personne n'a osé dire qu'à partir de là, ils sont sortis de l'Islam.

Certes, le choix et le consentement des gens ou leur unanimité donnant légitimité au pouvoir, comme le confirme l'Imam al-Jwayni. Il s'agit donc d'une entente  ou bien une réconciliation visant à assurer et à préserver l'intérêt des individus et qui n'a rien à voir avec les actes cultuels et les croyances. Ce point fait l'objet du consensus des théologiens et des jurisconsultes Sunnites, et même des Musulmans de nos jours. Plusieurs mouvements nationaux, fusionnant toutes les entités et les composantes de la patrie, en paix ou en guerre, ont vu le jour et réussi à mettre fin à la colonisation. De même, plusieurs régimes nationaux, dont certains jouissent encore d'une grande popularité pour avoir réussi à préserver les intérêts nationaux, ont été établis sans avoir aucun lien avec une religion ou une croyance.

L'Etat Islamique est donc un Etat majoritairement musulman où la plupart des ses habitants Musulmans se mettent d'accord sur son établissement et dont la légitimité émane de cette majorité, comme c'est le cas des autres régimes dans le monde. De plus, nous trouvons que dans les régimes qui prévalent dans les pays majoritairement musulmans, la citoyenneté a été unanimement établie. Une citoyenneté qui stipule l'égalité des droits et des devoirs, y compris le droit de choisir le gouverneur à travers les élections. Ainsi, nous devons en tant que Musulmans, et en tant qu'humains et citoyens, qui sont les plus exposés plus que les autres aux agressions des milices sectaires, lutter pour ne pas permettre d'instrumentaliser politiquement la religion en vue de protéger la religion et l'Etat à la fois.

Nous avons alors besoin alors des réformateurs pour effectuer ;

une réforme religieuse visant à repenser le système politique, non en tant que partie de la religion, mais plutôt en tant que gestion des affaires publiques,
une réforme politique visant à la dévolution du pouvoir et à l'établissement des régimes basés sur la bonne gouvernance. Ibn al-Qayim al-Jawzyah confirme ce sens en disant : "partout où se trouve la justice, voilà une partie de la Charia assurée".


[1] Connu aujourd'hui sous le nom de "Dominion du Pakistan".

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