Discours du Grand-imam à l'ouverture du Forum de promouvoir la paix dans les communautés musulmanes dans les Emirats arabes unis

  • | Friday, 29 May, 2015
Discours du Grand-imam à l'ouverture du Forum de promouvoir la paix dans les communautés musulmanes dans les Emirats arabes unis

Au nom d'Allah le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux

Fiqh de Paix

Louange à Allah, que la paix et le salut soient sur notre maître Mohamed, sur sa famille et ses compagnons..

Son altesse cheikh / Abdel Allah ben Zaïd Al Nahian     Organisateur du forum

 Messieurs les savants, les penseurs et les intellectuels!

Honorable audience! Que la paix, la miséricorde d'Allah et Sa bénédiction soient sur vous.

Au début de mon intervention, j'ai le plaisir d'adresser mes remerciements les plus sincères et mon estime aux Emirats arabes unis: sage gouvernement et peuple noble. Egalement, je les remercie d'avoirpris sous son patronagela tenue annuelle de ce Forum en présence des hommes de paix et des humanistes de tous les coins du monde.

De même, mes remerciements, mon admiration et mon respect vont à mon frère, l'éminent vénérable cheikh, docteur/ Abdel Allah ben Bayyah, le présidentdu présent Forum pour son grand effort dans la préparation de ce forum auquel nous souhaitons la réussite, le succès et la réalisation de ses finalités et ses  buts.

Si le document préparatoire a démontré la finalitéde cette rencontre concernant la redécouverte de la culture de la paix et de son importance en Islam à travers une lecture approfondie des textes révélés et du patrimoine des prédécesseurs (salaf), sans doute cette finalité est la plus noble à laquelle la plume des spécialistes doit se consacrer. Ceci pour effacer les idées obscurantistes du fiqh de la paix. A cause de la lecture erronée et des interprétations tordues, les armes tombées dans les mains des groupes musulmans sont adressées aux poitrines de leurs communautés et peuples non aux poitrines des militaires de leurs ennemies.

Certes, nous avons besoin actuellement de revoir les concepts cités dans notre patrimoine musulman d'une manièrehonnêteet d'y consacrer une lecture critique afin de les expliquer aux écoliers  et aux étudiants universitaires dans un cursus sérieux participant ainsi à protéger les jeunes de l'Occident et les musulmans de tomber dans les pièges de ces groupes armés. Notre forum est dans l'obligation de faire appel aux spécialistes et de les réunir pour se mettre d'accord sur une vision stratégique claire dont les objectifs et les finalités sont bien élaborés. Ceci pour sauver nos jeunes de l'état  perturbé, de l'hésitation dogmatique et intellectuelle relative à la compréhension des fondements de la religion ainsi que la compréhension  des questions mères du dogme et de l'éthique et les conduire à l'état du calme psychologique, la stabilité de la foi, la bonne compréhension d'une religion qui a contribué à établir une civilisation universelle età fonder une fraternité humaine et mondiale sans pareil. Cette civilisation n'aurait pas être propagée de l'ouest à l'est de la terre dans un laps du temps embarrassant les spécialistes de l'histoire et de la civilisation jusqu'à nos jours, sans qu'elle soit basée sur les principes de la paixentre les gens, sans que le prophète de cette civilisation ait envoyé en miséricorde à tout le monde. Il n'a pas été envoyé aux musulmans uniquement ou aux êtres humains mais aussi aux animaux, aux plantes et  aux êtres non vivants, " Nous ne t'avons envoyé qu'en miséricorde pour l'univers." (Sourate les Prophètes verset 107). Or, la miséricorde nécessite la paix : miséricorde et paix sont alors deux faces de la même médaille. Je ne pense pas qu'il y a une des religions ou un système social ou constitutionnel qui a toléré l'homme et  protégé son sang comme l'a fait le prophète de l'Islam. Sans aucun doute, le noble Coran est le Livre unique qui a prescrit d'appliquer deux peines au tueur : l'application de la loi du talion dans la vie ici-bas et le grand châtiment dans l'au-delà. Il suffit de dire que le fait de tuer un homme sans raison ou pour une corruption sur la terreest comme si on a tué tous les hommes. De même, faire don de la vie à un être humain est comme si on l'a fait à tous les êtres humains. "C'est pourquoi Nous avons prescrit pour les Enfants d'Israël que quiconque tuerait une personne non coupable d'un meurtre ou d'une corruption sur la terre, c'est comme s'il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c'est comme s'il faisait don de la vie à tous les hommes. (La table servie, verset 32). En fait, l'Islam interdit le simple fait de faire peur ou terrifier quiconque, même si cet acte se fait sous forme d'une blague ou d'une plaisanterie. Le Prophète dit:"Quiconque pointe un morceau de fer vers son frère, les anges le maudissent alors jusqu'à ce qu'il arrête, même s'il est son frère de père et mère" Il a dit aussi: "il n'est pas permis à un musulman d'effrayer un musulman". Le Prophète fut aussi miséricordieuxenvers les animaux. Une fois, le Prophète entra dans le jardin d’un homme où se trouvait un chameau. Ce dernier, après avoir aperçu le Prophète (que la paix et le salut d'Allah soient sur lui), vint à lui. Soudain, il se mit à pleurer. Le Prophète  sécha ses larmes et le chameau cessa de pleurer. Ensuite, le Prophète appela le propriétaire de la bête et lui dit : « Ne crains-tu pas Allah au sujet de cette bête qu’Allah t’a attribuée ?! Cette bête s’est, en effet, plainte de toi, car tu l’affames et tu lui imposes un travail qu’elle ne peut supporter. »

Mes frères, il ne faut pas renier cette communication concrète entre les prophètes et les autres créatures parmi les animaux, les plantes et les êtres non vivants, ou exclure l'apparition partant de l'idée que les gens ne connaissent pas un animal capable de parler et se plaindre à un homme. Si tu veux savoir la relation de l'homme avec les créatures du point de vue islamique, tu seras étonné lorsque tu découvres que cet univers avec ses mondes – du point de vue coranique – n'est pas mort ou sourd privé de la conscience et de la perception et d'une vie qui lui convient. Le Coran donne des arguments explicites et clairs que cet univers avec tous ses éléments, quoi qu'ils soient, adore Allah, Le glorifie et se prosterne aussi.Mais, nous n'avons pas les compétences et les qualités nécessaires pour voir la prosternation ou comprendre la glorification. Les versets  relatifs à ce sujet sont nombreux et existent dans l'ouverture de plusieurs sourates. La raison n'imagine jamais comment un être mort pourrait glorifier ou prosterner. Mais toute créature doit être décrite comme vivante avant de le décrire étant une créature prosternée ou glorificatrice. "Les sept cieux et la terre et ceux qui s'y trouvent, célèbrent Sa gloire. Et il n'existe rien qui ne célèbre Sa gloire et Ses louanges. Mais vous ne comprenez pas leur façon de Le glorifier. Certes, c'est Lui qui est Indulgent et Pardonneur." (Sourate Al-Isra, verset 44). "N’as-tu pas vu que c’est devant Allah que se prosternent tous ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur la terre, le soleil, la lune, les étoiles, les montagnes, les arbres, les animaux, ainsi que beaucoup de gens? Il y en a aussi beaucoup qui méritent le châtiment. Et quiconque Allah avilit n’a personne pour l’honorer, car Allah fait ce qu’il veut." (Sourate le Pèlerinage). "Nous avons certes accordé une grâce à David de notre part. Ô montagnes et oiseaux, répétez avec lui (les louanges d'Allah). Et pour lui, Nous avons amolli le fer." (Sourate Saba, verset 10)

Suivant cette logique, nous comprenons la parole du Prophète dans Sahih Muslim: "Je connais bien à la Mecque une pierre qui me saluait avant d'être envoyé, et maintenant je peux la reconnaitre".A partie de ces textes indiscutables, nous comprenons la relation entre l'homme musulman et l'Autre quel soit homme, animal, plante ou un être non-vivant. Dans la philosophie musulmane, il s'agit d'une relation de camaraderie, de compagnie et de transcendance basée sur le principe de la paix et la connaissance mutuelle. A partir de cette logique en particulier, l'Islam n'autorise la tuerie qu'en cas de repousser l'agression ou d'accomplir un des droits du Dieu approuvé par un texte définitif. Ainsi, nous rendons compte des raisons pour lesquelles l'Islam a prohibé aux musulmans de tuer les personnes faibles dans les camps de l'ennemi, de détruire leurs bâtiments, de brûlerles arbres, de tuer leurs abeilles, leurs animaux sauf pour le besoin de manger sans exagération. Car ceci ne pourrait conduire ni à une agression ni à un envahissement. A ce sujet, l'écrivain célèbre (Mustafa Ar-Rafii) a dit: "les épées des musulmans ont une morale".

Honorable Audience !

Revivifier le Fiqh de la paix en Islam (sources et traditions) est une obligation. Il n'est plus même ni un luxe ni un choix mais il s'avère plutôt une bouée de sauvetage. C'est bien fait de la part de forum de prendre en charge la responsabilité de la compilation et de l'explication de ce Fiqh autant aux clairvoyants qu'aux paresseux. Je pense que le forum doit assumer en parallèle une deuxième responsabilité qui consiste à compiler les livres et les revues publiés par les groupes terroristes armées en langues étrangères, surtout via les moyens de publication électronique. En effet, ces livres et ces publications représentent un grand danger sur les jeunes. Il faut les compile, les classer  et les réfuter d’une manière précise. Par ailleurs, il faut travailler pour localiser les principes dogmatiques adoptés par les groupes terroristes armés, surtout le principe de takfîr (accusation d’incrédibilité) qu'ils ont fondé dans leurs publications et par lequel ils ont trompé un grand secteur de jeunes musulmans en Orient et en Occident.

Malheureusement, Honorable audience, un nombre de pseudo- savants publie actuellement des ouvrages et des articles sur la question de takfîr tout en distinguant entre le takfîr autorisé (qui est le takfîr absolu) et le takfîr d'un cas particulier qui est autorisé mais sous des conditions. De telles opinions ne conviennent, en aucun cas, aux circonstances actuelles de la Oumma et ne soutiennent pas la cause commune de la paix à laquelle nous aspirons tous. Nous ne discutons pas ici  la question du takfîr absolu ou du takfîr d'un cas particulier. Cette distinction n'est mentionnée ni dans le Coran ni dans la Sunna. Elle est simplement l'opinion des ulémas des époques postérieures qu'on peut accepter ou rejeter. Nous indiquons seulement qu'un nombre de Fatwas  émises par tel ou tel jurisconsulte des époques ultérieures, portait sur des cas exceptionnels et qu'il ne représente en aucun cas une règle générale. La question du  takfîr illustre bien ce que nous venons de dire dans la mesure où les groupes terroristes armés se sont appuyés sur les opinions d'Ibn Taymiya et d'Ibn Kathir (qu'Allah leur fasse miséricorde) selon lesquelles la formulation de l’attestation de foi ne suffit pas pour juger quelqu’un musulman. Selon eux, elle doit être accompagnée par l’acte, la soumission absolue aux prescriptions de l'Islam et le fait de s’engager à défendre la Oumma, l'Etat et la charia. (5) Si le Musulman ou bien les Musulmans a (ont) failli à ces conditions, il (s) devien(nen)t mécréants et on doit les combattre ».

En effet, cette opinion erronée d'Ibn Taymiyah a été émise pendant le septième et  le huitième siècles de l'Hégire. Ainsi, il était  préoccupé par les batailles sanglantes qui ont eu lieu entre les Musulmans et les Tatars qui ont pris le Bagdad et  le  Cham avant d'être vaincus à la bataille d'Aïn Djalout en Egypte. A cette époque-là, les Tatars manifestaient l’Islam et cachaient leur mécréance. En ayant été trompé, les gouverneurs de petits Etats musulmans n’avaient alors aucun grief  de leur demander soutien pour maintenir ce qui reste sous leur souveraineté. C'est précisément dans ce contexte  qu'Ibn Taymiyah avait dit que la formulation de l’attestation de foi doit être accompagnée par  l’acte en vue de distinguer les Musulmans de ceux qui manifestent l’Islam en tramant des complots contre les musulmans pour les tuer…

 La question qui se pose ici est donc : est-il valable aujourd’hui de comparer nos sociétés musulmanes  au XXIème siècle à celles où Musulman, mécréant et hypocrite, arabes et Tatars s’étaient entremêlés?! Peut-on appliquer la même sentence sur les sociétés musulmanes duvingt-et-unième siècleà l'instar de celles du septième et du huitième siècles de l'Hégire? Comment les différences, les contextes, les circonstances jurisprudentielles et politiques ainsi que les conditions difficiles, qui ont produit ce genre de Fatwas temporaires, ont-ils resurgi pour permettre aux groupes de takfîr de justifier la déclaration du Djihad contre nos sociétés qui croient en Allah et en son Messager, accomplissent la prière, s’acquittent de la Zakat, observent le jeûne  du mois du Ramadan et effectuent le Hadjj, le pèlerinage à  la Maison sacrée d’Allah à la Mecque? Et encore, où en est-on du principe sur lequel  tous les jurisconsultes se sont mis d’accord et qui stipule que la Fatwa change selon le temps, l'espace, les circonstances et le cas.   

Ce désordre sanglant, qui prend pour fondement et preuve l'idée du takfîr, nécessite la mobilisation des Oulémas pour y faire face dans toutes les capitales du monde arabe, voire dans toutes ses villes. Cela ne pourrait être réalisé qu'en passant à l’acte tout en accordant plus d’importance à l'enseignement, notamment pré-universitaire. Nous croyons qu’une réunion regroupant les responsables de l'enseignement dans le monde arabe et ceux des écoles et des instituts religieux pour élaborer un programme scientifique commun, basé sur l'opinion soutenue par la majorité des Oulémas stipulant l'interdiction catégorique du takfîr pourrait à notre sens constituer une nécessité. Ce programme devrait ensuite être structuré sous forme de matières scolaires sérieuses ou universitaires qui réfutent intellectuellement et pédagogiquement les prétentions des takfiristes dans  le monde arabe.  Car s’intéresser davantage à l'enseignement et au discours éducatif est plus important et plus efficace que le fait de se consacre au discours adressé au public dans la mesure où la grande majorité du public reste protégée contre la culture du takfîr. Ce qui n'est pas le cas de la nouvelle génération qui compte principalement sur les moyens électroniques  de communication pour acquérir le savoir. Or, ces moyens sont bien manipulés par ces groupes qui ciblent avant tout les jeunes étudiants en bac ou à l'université.  

Permettez-moi, chers messieurs, de clôturer mon discours en affirmant que les campagnes que lancent les médias contre le discours religieux en le considérant comme le premier responsable de l'apparition de Daesh et ses suppôts, sont tellement superficiels et simplistes. Elles résument  les causes de l'apparition de ces groupes en une seule, à savoir le discours religieux en ignorant ou en ne réalisant pas les autres facteurs essentiels qui ont incité les jeunes à adopter la violence armée comme dernière solution déplorable pour changer leurs sociétés ! Les échecs successifs, notamment ceux politiques, économiques et psychologiques ainsi que la culture de la marginalisation qu'a connue cette génération à plusieurs niveaux, ont bien contribué à créer ce sentiment de désespoir et de dépression dans les esprits de beaucoup de ces jeunes. Le discours religieux tout seul n'est pas la solution, mais il en est seulement une partie. Car Il y a encore plusieurs types de discours : politique, économique, éducatif, culturel, médiatique et artistique. Tous ces types constituent  des facteurs menant à détruire et à subvertir les espoirs et les ambitions des gens. C’est ce qui nécessite maintenant une réforme  aussi importante qu'à celle du discours religieux.

Merci pour votre attention !

Salam Alaikoum Wa Rahmatollahi Wa Barakatouh !

Ahmed At- Tayyeb, cheihk de l’Azhar

Fait le 9-11 Radjab 1436 de l’Hégire /  28- 30 avril 2015 AP.J.-C

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