Au Nom d’Allah le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux

 

Louange à Allah et Salut et Paix sur notre maitre, le messager d’Allah que la paix et les bénédictions d’Allah soient sur lui, sur sa famille et ses compagnons.
Mesdames et Messieurs, honorables hommes de science, penseurs, politiciens et hommes de religion…
Que la Paix  et la Bénédiction d’Allah  soient sur vous,
En mon nom et au nom du Conseil des Sages Musulmans,  j’ai le plaisir de vous rencontrer, ici, en France, dans cette majestueuse capitale de la littérature universelle et de la pensée libre, ce berceau de la grande Révolution qui est partie de son territoire contre l’injustice et l’oppression depuis plus de deux siècles grâce à la volonté de son peuple. qui a libéré l'Europe des chaînes et des entraves  durant de longs siècles. Cette Révolution a exprimé une philosophie de la liberté et de la civilisation,  il a illuminé la mentalité européenne et l’a aidée à évoluer vers l’horizon de la créativité dans les domaines relatifs à la science, à la culture,  aux arts,  à la démocratie et aux droits de l’Homme…  
 
Ainsi, l’Europe contemporaine doit à la Révolution française, à la France et aux français l’évolution frappante en matière de science, de connaissances, de dignité humaine, de démocratie et de droits de l'Homme.
J’adresse toutes mes salutations à ce pays, à ses citoyens et à tous ceux qui aiment l’établissement de la paix, de la justice et de l'égalité entre les hommes.

 

Mesdames et Messieurs,
Cette deuxième rencontre entre les Sages de l'Orient et ceux de l'Occident vient après la première rencontre, qui a eu lieu le 8 juin 2015 à Florence en Italie, la ville du dialogue, de l'Art et de la culture. Pendant cette rencontre, les Sages de l'Orient et ceux de l'Occident ont  cherché sérieusement une issue à la crise mondiale. J'avais déjà souligné cette crise dans mon intervention à Florence disant : " Si l'on néglige cette crise sans chercher des solutions, l'humanité toute entière payera le prix: des ravages, des destructions, des régressions et des meurtres. Le prix payé serait, peut-être, plus cher que celui qu'on avait payé, pendant la première moitié du siècle dernier, aux Première et Seconde Guerre mondiale ". 
Six mois seulement après la déclaration de mon inquiétude qui s'avère un peu pessimiste, Paris a connu une nuit tragiques où 140 victimes de ses habitants ont été tués, et 368  autres ont été blessés lors à un horrible attentat terroriste dont nous devons tous dénoncer ses méprisables auteurs. En effet, les actes de ces derniers s'opposent à la nature humaine, aux enseignements des religions, aux coutumes et aux lois.
Vous seriez peut-être d'accord avec moi sur le fait que cet attentat tragique de Paris, ceux de la Belgique ainsi que les attentats les plus brutaux et sanglants qui ont quotidiennement lieu en  l'Orient, dont les habitants souffrent des tueries, de l’exode forcé et des pires privations imposent aux décideurs et aux divers responsables en Occident et en Orient d'assumer leurs entières responsabilités devant l'Histoire et Dieu.
Ils doivent intervenir pour faire face au terrorisme mondial et mettre fin à l'effusion du sang et au massacre frappant notamment les plus faibles, les femmes et les enfants. En effet, ceux-ci ne cessent de payer un lourd tribut à ces corrompus qui bafouent toutes les lois humaines et divines.
Dans ce contexte, il est indispensable de demander au monde de faire face à toutes les tentatives visant à changer l’identité  la mosquée d'al-Aqșa et de prendre conscience qu’il faut résoudre la question  palestinienne d'une manière juste et globale. En effet, la résolution de ce drame est la clé à tous les problèmes majeurs qui empêchent la rencontre de l'Orient avec l'Occident et qui contribuent à creuser le fossé entre les peuples et à nourrir l’artificiel conflit entre les civilisations.

 

Honorables  Sages,
L'Orient et l'Occident ne sont plus séparés l'un de l'autre comme c'était le cas au siècle passé. L'Orient n'est plus cet inconnu terrible situé à l'autre côté lointain de la mer comme l'imaginaient les Occidentaux autrefois. De même, l'Occident n'est plus ce modèle étrange devant lequel les Orientaux Musulmans ou Chrétiens peuvent fermer leurs portes pour éviter à la fois ses bienfaits et ses malheurs. Les distances entre l'Orient et l'Occident se sont plutôt réduites et les barrières sont disparues. Beaucoup de Musulmans ont émigré pour s'installer en Occident et leurs générations ne connaissent aujourd'hui que ces territoires comme première patrie. Plusieurs idées et pratiques de vie occidentales sur le plan politique et social, ont beaucoup influencé les visions des Musulmans ainsi que leurs comportements et leurs manières de penser. L'impact de certaines philosophies a été fort sur les idées de plusieurs penseurs et politiciens orientaux, parfois même plus fort que sur les esprits de certains Occidentaux notamment quand ces philosophies ont commencé à perdre leur éclat dans la mentalité occidentale sous l'effet de la mondialisation.
Cette mondialisation qui prône la philosophie du nivellement  et qui ne permet pas de distinguer entre l’Orient et l’Occident dont chacun se distingue par sa culture et sa civilisation et, je dirais, par sa religion et sa langue.
Je pense personnellement que cette mondialisation ne pourra être une solution aux relations tendues entre l'Orient et l'Occident. Elle ne pourrait pas, non plus, constituer un pas sur le chemin de la coopération entre eux pour réaliser la paix mondiale et assurer le bonheur de l'humanité toute entière.
Elle constitue plutôt, et sans doute, une autre phase sur le chemin de conflit mondial avec la destruction des identités des peuples et de leurs propres caractéristiques que Dieu leur a octroyées. Ces caractéristiques auxquelles les peuples ne peuvent renoncer sans renoncer au préalable à leurs vies et à tous leurs patrimoines.

 

Messieurs les Sages,
Il est incontournable de penser à « l'universalisme » à la place de la « mondialisation». Cette notion fut lancée par les Cheikhs d’al-Azhar, au cours du siècle dernier après la première et la deuxième guerre mondiale, appelée "camaraderie universelle" ou "l'entre-connaissance" comme solution aux divisions ravageant le monde envahi par les dures rivalités aux luttes et aux guerres.
Le sujet de l’ « universalité de l’Islam» est très vaste. Il considère le monde comme une seule société dont la responsabilité de sécurité et de paix est partagée entre tous ses individus.
A ce propos, je me rappelle d’un Hadith prophétique dit : « Le cas de celui qui respecte les limites prescrites par Allah, comparé à celui qui les transgresse, ressemble à ces gens qui tirent au sort pour se réserver des places à bord d’un bateau ; certains obtiennent le pont supérieur et d’autres vont à l’entrepont. Lorsque ces derniers ont besoin d’eau, ils doivent nécessairement passer par le pont supérieur. Afin de ne pas déranger ceux du pont supérieur ils suggèrent de creuser un trou dans leur partie du bateau. Et si ceux du pont supérieur les laissent faire, tout le monde fera naufrage ; au cas contraire tout le monde sera sain et sauf.»
Nous ne devons pas prendre les Ḥad-s (les peines légales) d’Allah, dans une sa signification étroite, mais il faut en retenir dans la signification globale confirmant l’universalité de l’Islam. Allah a marqué des frontières universelles délimitant le globe représentées sous forme de  justice, égalité entre les humains et la reconnaissance de la fraternité entre eux malgré les différences qui les caractérisent. Ces derniers qui furent crées par Allah afin de faire régner entre eux la diversité menant à l’interconnaissance et à la fraternité. Car au final les hommes descendent  tous du même père et de la même mère et c'est Allah qui a crée les différences entre eux.
Si certains transgressent les limites en brisant l’ordre divin, c’est aux autres de le repousser, sinon le bateau de l’humanité se noiera causant la destruction de l’humanité elle-même. C’est ici la grande inquiétude des sages en Orient et en Occident.
« L’universalisme », qui devrait être, nous l'espérons, une alternative à « la mondialisation » permettant de sauver le monde des crises qui ébranlent, nous obligent à remettre en cause notre vision de l’Occident et de sa civilisation. Nous devons chercher dans cette civilisation les valeurs humaines communes, que l’on partage tant en Orient qu’en Occident, et s’en servir pour établir des relations internationales basées sur la coopération et la prévention des guerres. Notre vision de l’Occident devrait être basée sur l’objectivité, l’influence réciproque et la philosophie de l’interconnaissance et de la complémentarité. Nous devons également mettre en application des règles d’or qui gèrent les relations entre les Musulmans et les non Musulmans vivant dans la même patrie. Ces règles sont limpides : "Les non-musulmans ont les même droits et les mêmes devoirs que tous les musulmans".

 

Chers frères !
Le temps imparti pour mon intervention ne me permet pas de traiter profondément la question qui constitue, d'après moi, un point de départ pour la rencontre entre l'Orient et l'Occident. Je parle ici de l'intégration des musulmans dans leurs patries européennes et leur ouverture sur les sociétés où ils sont nés.
En effet, les musulmans font partie intégrante du tissu national de ces sociétés sous tous ses aspects : social, culturel et politique. D'ailleurs, la non-intégration des musulmans dans leurs sociétés pourrait être un obstacle à la pleine citoyenneté qui constitue, sans doute, une source de richesse et de puissance pour la communauté des nations européennes.
Le phénomène de "l'intégration positive" a été l'objet de plusieurs études, conférences, articles et livres qui ont observé, d'une part, l'hésitation des musulmans à s'intégrer dans leurs sociétés par crainte de perdre leur identité religieuse, et d'autre part, l'inquiétude de la société européenne de perdre leurs acquis cultuels en ouvrant la porte à d'autres religions et cultures.
Des chercheurs ont observé, aussi bien dans le monde musulman qu'en Europe, quelques obstacles qui mènent à la création des barrières et des divisions et à la marginalisation. Ces obstacles étaient l'une des causes de l'adhésion d'un grand nombre de jeunes musulmans en Europe aux groupes extrémistes ou terroristes.
La diversité des appartenances régionales, ethniques et confessionnelles est la cause première de la non-intégration des musulmans dans leurs sociétés. Elle les empêche parfois d'échanger avec les autres musulmans qui vivent avec eux mais ne viennent pas de la même région où à la même ethnie. De plus, les appels lancés par certains au nom de la religion pour se séparer psychiquement de la société européenne sont aussi l'une des causes principales de la désintégration des musulmans dans leurs sociétés.
Du côté européen, le premier obstacle reste le rôle souvent négatif des   média  qui déforment l’image des musulmans auprès des peuples européens, c’est notamment la publication de  caricatures diffamatoires du Prophète de l'Islam,  sans tenir  compte du respect des croyances et de la place du Prophète  dans le cœur  des Musulmans. C’est aussi la caricature qui consiste à faire l'amalgame entre la vraie image des sociétés musulmanes en Orient et ce qui se passe dans les zones de tension et de conflit. Du coup les chercheurs observent la politisation de l'existence musulmane en Europe et l’utilisation de cette existence dans le jeu électoral pour attirer un nombre croissant de voix, ce  qui produit des effets néfastes sur les relations entre les citoyens selon leurs origines
Je vous propose pour la prochaine rencontre, qui sera la troisième entre les Sages de l'Orient et l'Occident et dont la date et le lieu seront annoncés plus tard, le thème " l'intégration positive". Mais jusqu'à ce que nous nous retrouvions dans cette rencontre, j'appelle les citoyens musulmans en Europe à bien comprendre qu'ils sont des citoyens à part entière, et que la pleine citoyenneté ne s'oppose pas à l'intégration qui préserve l'identité religieuse.
J’appelle les Musulmans européens  à trouver un bon exemple dans le "Pacte de Médine", la première Constitution dans l'histoire de l'humanité qui a établi le principe de la citoyenneté et de l'égalité entre les citoyens de différentes confessions et ethnies.
  Les lois européennes qui s'opposent à  la Charia islamique ne devraient pas être  un facteur menant à l'isolement négatif et au repli sur soi. Si certaines lois imposent aux musulmans de faire quelque chose qui s'oppose vraiment à leur religion, ils doivent  recourir aux voies juridiques qui prévoient le droit de faire valoir son droit face aux lois et qui permet leur amendement.
  Enfin, j'aimerais adresser un mot aux prédicateurs et aux imams de l'Europe : Il est grand temps de renouveler notre discours en traitant des questions comme l'intégration et la coexistence positives au lieu de celles qui portent sur les minorités. Rappelez toujours nos règles jurisprudentielles bien enracinées qui disposent que : "la Fatwa change selon le temps, le lieu et les circonstances", que  "la charge ne doit pas dépasser pas la capacité de chacun", que "la religion appelle à la facilité"  qu’il n’y a pas d'interdiction en cas de besoin et pas d'obligation en cas d'incapacité, que   "le croyant est obligé de respecter  ses engagements et ses contrats" que "La foi de celui qui ne tient pas ses promesses est incomplète"  Et surtout l’enseignement suprême que "le musulman est le frère du non musulman et  son semblable dans l’ l'humanité".

 

Merci pour votre attention. Assalamu Alaykom Warahmat Allahi Wabarakatuh.
 Cheikh d'Al Azhar/
Ahmad al-Tayyib.
Fait  à Mashiakhat d'Al Azhar
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