Le pèlerinage à La Mecque, ou Hajj, est reconnu comme l'un des cinq piliers de l'islam, un rite qui occupe ainsi une place majeure dans la pratique de la foi musulmane. Il est fréquent, au sein de la communauté des chercheurs et des observateurs non-musulmans, de formuler l'hypothèse selon laquelle les rites du Hajj seraient des vestiges d'anciennes pratiques païennes préislamiques en Arabie. Cependant, une analyse approfondie des sources coraniques, ainsi que de la Sunna et des données historiques disponibles permet de conclure que ces rites ont été non seulement purifiés de toute connotation idolâtre, mais également de tout ce qui touche au polythéisme.
Il est historiquement établi que le lieu sacré central du pèlerinage islamique, la Kaaba, existait avant la naissance de l'islam. Cependant, selon la tradition islamique, la fondation de la Kaaba remonte au prophète Abraham (Ibrahim) et à son fils Ismaël, en réponse à un ordre divin. Ce fait est explicitement mentionné dans le Coran, dans la sourate 2, verset 127 : « Et quand Abraham et Ismaël élevaient les assises de la Maison : « O notre Seigneur, accepte ceci de notre part ! Car c'est Toi l'Audient, l'Omniscient. »
Au fil du temps, il est intéressant de constater que cette structure, initialement dédiée à l'unicité divine, a subi une transformation significative. En effet, elle a été détournée de sa vocation monothéiste originelle, les Arabes polythéistes y introduisant des idoles et transformant ainsi la Kaaba en centre d'un culte idolâtre. L'intervention du prophète Muhammad (pbAsl), dans le cadre de sa mission prophétique, s'inscrit dans une dynamique de restauration du monothéisme originel. Dans le cadre de la conquête de La Mecque, il est documenté que le prophète Mohammed a procédé à la purification du sanctuaire, détruisant les idoles présentes autour de la Kaaba. Ce geste est rapporté dans un hadith authentique : « Le Prophète entra à La Mecque ; autour de la Kaaba se trouvaient trois cent soixante idoles. Dans un élan de proclamation, il les frappa avec un bâton, clamant : « Et dis : « La Vérité (l'Islam) est venue et l'Erreur a disparu. Car l'Erreur est destinée à disparaître ». » (Sahih al-Bukhari, n° 4720)
Le Coran lui-même prescrit un pèlerinage exempt de toute forme de polythéisme, comme l’illustre le verset : « Et fais aux gens une annonce pour le Hajj. Ils viendront vers toi, à pied, et aussi sur toute monture, venant de tout chemin éloigné, pour participer aux avantages qui leur ont été accordés et pour invoquer le nom d'Allah aux jours fixés, sur la bête de cheptel qu'Il leur a attribuée, « Mangez-en vous-mêmes et faites-en manger le besogneux misérable. » (Sourate Al-Hajj, 22 :27-28). Ces versets inscrivent clairement le Hajj dans une dynamique d’appel universel à l’unicité divine, en rupture nette avec les pratiques païennes antérieures.
Il convient de souligner que les rites du ḥajj — tels que la circumambulation (ṭawāf), la course entre Ṣafā et Marwa (sa‘y), le port de l’iḥrām ou encore la lapidation symbolique des stèles de Minā — tirent leur légitimité de la Sunna prophétique. Loin d’être de simples pratiques rituelles dénuées de sens, ces gestes revêtent une portée symbolique profonde : humilité, purification, renoncement aux passions et soumission à Allah. Dès lors, il serait erroné de les interpréter à travers le prisme d’une logique magique ou superstitieuse.
Parmi les exemples fréquemment cités par les critiques, celui de la Pierre Noire est particulièrement pertinent. En effet, cette dernière est souvent embrassée ou désignée par les pèlerins durant le ṭawāf. Cependant, cette action ne semble pas indiquer une forme de sacralisation de l'objet en question. Cette pratique s'inscrit dans le cadre d'une démarche de conformité aux usages prophétiques, comme l'illustre avec éloquence le hadith du calife 'Umar ibn al-Khaṭṭāb : « il s'approcha de la Pierre Noire et l'embrassa, puis dit : « Je sais très bien que tu n'es qu'une pierre, incapable de nuire ou de procurer un quelconque bienfait. Et si je n'avais pas vu le Prophète (pbAsl) t'embrasser, je ne t'aurais pas embrassé. » » (Ṣaḥīḥ al-Bukhārī, ḥadith n°1597). Cette déclaration met en exergue que la signification du geste réside dans l'obéissance au Prophète (pbAsl), et non dans une croyance en un pouvoir inhérent à la pierre.
En outre, il convient de souligner que l'essence même du hajj réside dans la proclamation de l'unicité divine, telle qu'exprimée dans la formule de la talbiyah : « Labbayka Allāhumma labbayk, lā sharīka laka labbayk, inna al-ḥamda wa-n-ni'mata laka wa-l-mulk, lā sharīka laka ». Cette formule, qui peut être traduite ainsi : « Me voici, ô Allah, me voici ! Tu n’as point d’associé, me voici ! En vérité, la louange, la grâce et la royauté T’appartiennent. Tu n’as point d’associé. »
Cette invocation, répétée avec ferveur par les pèlerins au fil des étapes du rituel, ne saurait être considérée comme une simple formule liturgique. Elle incarne une déclaration de foi, un engagement personnel et collectif à l'égard de l'unicité absolue d'Allah. Par son rythme, sa sobriété et sa solennité, la talbiyah structure l'expérience spirituelle du pèlerinage, en rappelant constamment la centralité du tawḥīd (monothéisme pur) dans l'islam.
Cette approche s'inscrit dans la lignée du message abrahamique, en ce sens qu'elle rejette le polythéisme et l'intervention d'intermédiaires entre l'homme et la divinité. Elle préconise l'abandon de l'ego, des passions et de toute prétention humaine face à la grandeur divine. Chaque terme véhicule ainsi une signification théologique profonde : la reconnaissance exclusive de la souveraineté d'Allah, l'attribution à Lui seul de toute louange et de tout bienfait, et la négation explicite de tout associé.
Dans le contexte du Hajj, cette invocation (talbiyah) revêt également une dimension universelle. Cette proclamation, énoncée en chœur par des millions de croyants en provenance de divers horizons géographiques, ethniques et sociaux, transcende les divisions linguistiques, culturelles et sociales pour exprimer l'unité fondamentale de l'humanité face à son Créateur. La talbiyah, en tant qu'expression sonore spécifique, se caractérise par une dimension émotionnelle marquée, à la fois par l'amour, la soumission et l'unité. Elle peut être considérée comme une réponse vivante à l'appel d’Abraham, ainsi qu'à un témoignage vibrant de la permanence du monothéisme dans la tradition islamique.
En définitive, il serait réducteur de considérer les rites du ḥajj comme de simples résidus d’un passé préislamique ou comme les témoins d’une continuité païenne maintenue par inertie culturelle. Une telle lecture, souvent ancrée dans un prisme eurocentré et historiographiquement biaisé, méconnaît profondément le processus par lequel l’islam a réinterprété, codifié et sacralisé ces gestes dans le cadre d’une théologie rigoureusement monothéiste.
Loin de reproduire les pratiques idolâtres de l’Arabie antique, le hajj s’inscrit dans une dynamique de rupture ontologique et spirituelle avec le polythéisme : il déconstruit les anciennes logiques de sacralisation des lieux, des objets et des personnes, pour recentrer l’ensemble de l’expérience rituelle autour de l’unicité absolue d’Allah. En ce sens, chaque étape du pèlerinage, de la talbiyah à la lapidation symbolique, agit comme un acte de purification doctrinale et une réaffirmation du lien entre l’homme et son Créateur.
Ainsi, le pèlerinage transcende la simple commémoration rituelle pour s’affirmer comme un acte de réaffirmation vivante de la foi abrahamique. Il constitue un pacte spirituel qui inscrit le cheminement du croyant dans la continuité d’une tradition prophétique fondée sur l’adoration exclusive d’Allah.