Discours de son éminence le Grand Imam, le Cheikh d’al-Azhar à l’Institut œcuménique du COE à Bossey, le samedi 1er Octobre 2016 à Genève

  • | Tuesday, 11 October, 2016
Discours de son éminence le Grand Imam, le Cheikh d’al-Azhar à l’Institut œcuménique du COE à Bossey,  le samedi 1er Octobre 2016 à Genève

Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux
Madame le Docteur/ Agnes Abuom, chef du conseil exécutif du Conseil œcuménique des Eglises.
Monsieur le Docteur/ Olav Fykse Tveit, secrétaire général du Conseil œcuménique des Eglises.
 Mesdames et Messieurs !
Assalamo Alaykom Wa Rahmatollahi Wa Barakatoh ;
Au début, j’ai le plaisir de vous adresser cette salutation d’amour, de fraternité et de paix. A mon propre nom, et au nom de la délégation d’al-Azhar et du Conseil des Sages Musulmans, je vous remercie très sincèrement de nous avoir invités pour assister à cette rencontre d’importance et sans précédent. Et j’espère qu’elle aboutisse à des résultats et solutions pratiques qui mèneront les croyants dans les quatre coins du monde à réaliser les espoirs de l’humanité pour qu’elle puisse dépasser sa crise non-civilisationnelle qui a failli la reculer aux époques archaïques pleines de ténèbres, d’ignorance et dont la loi de la jungle y règne.
Le Conseil œcuménique des Eglises a bien fait d’avoir invité à cette rencontre réunissant une élite de leaders et de ulémas des grandes religions célestes, afin de se voir au cœur de l’Europe à Genève, la ville calme et sereine. Ils sont là pour assumer la responsabilité, devant leurs propre conscience et devant Allah, Exalté soit-Il, menant à ranimer l’espoir dans les cœurs des millions d’apeurés, d’effrayés et d’expatriés, en vue de remettre le sourire aux visages des misérables, des orphelins et des veuves. Ceux dont la destinée a voulu qu’ils payent le prix des guerres leur étant injustement imposées.
Contrairement au passé, le monde a aujourd’hui besoin de votre sagesse, et de votre intervention pour réduire ses peines et ses malheurs.
Beaucoup de statistiques internationales démontrent le taux horrible du financement visant la production des armes dont les gains sont sûrs, et l’attisement des guerres entre les nations affamées en vue de soutenir les économies de certains grands régimes internationaux n’ayant point de conscience et ne se nourrissant qu’au détriment des innocents.
Il y a également les politiques injustes qui se jouent des sorts des pauvres et des misérables et œuvrent à démanteler leurs sociétés et à confisquer leurs volontés et droits. Ces politiques risquent d'exposer le présent et le futur de leurs sociétés à de grands dangers à travers des philosophies et des théories ouvertement déclarées du genre : conflit des civilisations, fin du monde et le chaos constructif. Il s'agit des théories sophistiques modernes qui nous rappellent de celles que propageait la colonisation au cours du siècle précédent pour faire penser aux colonialistes, mais aussi aux colonisés, que cette domination n'est pas une sorte de confiscation des richesses des peuples, mais plutôt un message de modernité, de civilisation et de progrès apporté par l'homme blanc Aryen pour sauver son frère Sémite de l'ignorance, de la pauvreté et de la maladie.
Par ailleurs, nous pensions que les leaders du monde et les protecteurs de la liberté, de la paix internationale et des droits de l'Homme, ne permettront jamais de confisquer les droits des peuples à vivre en sécurité et en paix. Personne ne pouvait l’imaginer surtout après la création de l'Organisation des Nations Unies, à l'issue de la seconde guerre mondiale, et sa promulgation de la Déclaration des Droits de l'Homme qui a été propagée partout dans le monde, en Orient et en Occident. L'ONU nous avait dit que cette "Déclaration" a été faite pour sauver l'humanité et protéger les droits des peuples à vivre en sécurité, au progrès et au bien-être. Le premier article de cette Déclaration a assuré la protection de la paix et de la sécurité internationales, l'application du principe de l'égalité entre les pays membres, l'interdiction de l'utilisation de la force ou même toute menace d'y avoir recours dans les relations internationales et le refus d'intervenir dans les affaires intérieures des pays.
Jamais ma génération n'a eu dans l'esprit que cette déclaration universelle qui s'était engagée à protéger les faibles et à faire face aux tyrans, restera lettre morte quand il s'agit des peuples africains en développement et des deux mondes arabe et musulman. On n'a jamais pensé que ces engagements, formulés en belles phrases, à quoi s'attachent, environ 70 ans, les cœurs des nations faibles, restent encore incapables d’atteindre l’objectif et de faire face aux politiques injustes et despotiques.
Et en dépit des 68 ans coulés dès la promulgation de cette Déclaration qui s'est engagée, devant le tribunal de la conscience et celui de l'Histoire, à confronter toute menace frappant la paix internationale, à arrêter toute agression entre les pays et à imposer la stabilité et la paix dans les quatre coins du monde, les autorités compétentes de l'application de cette déclaration donnent encore la paix à ceux qu'elles veulent et en privent ceux qu'elles veulent en fonction des intérêts et conformément aux principes de la domination et de l'impérialisme. Mais plutôt, conformément au principe de "l’injustice" qu'elles justifient par la règle immorale : "la fin justifie le moyen".
Honorables messieurs, je pense que vous êtes d'accord avec moi qu’aujourd’hui le vrai fléau frappant la cause de la paix est que l'existence de la paix est devenue nécessairement liée aux fins des politiques internationales, à ses intérêts cupides et à leur humeur sans faire cas des critères moraux ni des valeurs et des objectifs spirituelles prônés par les religions célestes ayant imposé, à leur tour, aux leaders, aux caïds et aux politiciens de les respecter s'ils veulent que les gens aient miséricorde les uns envers les autres dans l’Ici-bas et soient heureux dans l'Au-delà.
Dans ce fléau s’établit la distinction entre, d’une part, la philosophie des messages divins en matière de notion de la «paix», ainsi que le fait d’en avoir grand besoin pour vivre ensemble et, d’une autre, entre le sens de la paix dans les politiques contemporaines tantôt changeantes, tantôt contradictoires et souvent injustes.
Mesdames et Messieurs!
Ce que je dis ne vous est pas nouveau, si je commence à parler de la centralisation de la cause de la paix dans les messages divins, de son caractère crucial dans l'équilibre de l'Univers tout entier et si j’explique comment le mot "paix" s'est, maintes fois, répété dans les deux Testaments et dans le Coran , comment les prophètes, dont les messages sont axés sur la stabilisation du principe de la paix entre les gens, étaient des hérauts de paix, d'amour et d'affection et comment Allah a menacé les injustes et les orgueilleux de punition exemplaire.
L'histoire nous enseigne comment les civilisations, qui prennent du pouvoir et de l'orgueil un modèle à suivre, déchoient rapidement et périssent. Ce n'est pas étonnant puisque les gens sont tous, dans les enseignements des religions, la créature d'Allah, comme l’a dit le Prophète de l'Islam, Muhammad - salut et bénédictions d'Allah soient sur lui –: «Les gens sont les créatures d'Allah, le meilleur est celui qui leur fait du bien».  De plus, Allah, Glorifié soit-Il, aime ses créatures et défend les croyants. Je sais bien que ces discours ne valent rien dans l'esprit de beaucoup de gens, surtout les jeunes de l'Occident et, récemment, certaines personnes de l'Orient, à cause de l'aliénation fréquente de la voie d'Allah, de l'oubli de Ses enseignements, et de l’influence par le sarcasme des athées, des moqueurs des religions et des révoltés contre elles.
L’existence d’un groupe refusant, par arrogance, d’adorer Allah est inévitable puisque le bien et le mal existent à jamais et tant que les gens ont le diable aux corps. Mais nous devons, en tant que croyants chargés de propager le message de la paix et de l’amour entre les gens, lutter inlassablement et dans la mesure du possible, contre ce mal. Nous devons faire face au discours haineux, à l’exploitation de la religion menant à semer la terreur et la violence et combattre le terrorisme qui frappe grièvement partout dans le monde.
L’inéluctabilité de revenir à la philosophie de la religion contenant les principes de la paix et du vivre ensemble en toute sécurité, est favorisée par  le fait que le monde contemporain, se construisant sur les ruines d’un autre monde, s’est beaucoup épuisé des substituts à la religion. En dépit des aspects positifs que ces substituts ont réalisés sur le niveau scientifique, technique et d’architecture, ils n’ont pas réussi à assurer la paix, le bonheur et la stabilité à la majorité des nations et des peuples. Je pense que je n'ai pas besoin, à cet égard, de vous rappeler des dévastations engendrées des deux guerres mondiales faisant plus de 70 millions victimes durant moins de 3 décennies. Les religions et leurs enseignements n’avaient rien à voir avec ces deux guerres. Par contre, nier et rejeter la religion, représentent la cause prochaine de cette catastrophe inoubliable.  
En effet, les systèmes politiques, économiques et sociaux qu’on a adoptés, ont assuré le bonheur à une minorité insignifiante au détriment de la majorité écrasante. Ils n’ont pas ni assuré la stabilité au monde ni encouragé ses peuples à la coopération. Le pire est que cette minorité qui détient toute l’économie mondiale est confrontée à des défis perturbants comme « les nouvelles formes du pillage, la faillite de nombreuses entreprises, banques et caisse à épargne… et le licenciement des dizaines de milliers de travailleurs. Cela dit, comme le transmet le grand théologien Hanz King d’après Time Magazine, « la loi "de l’offre et de la demande" ne fait nécessairement pas l’équilibre  et que  la philosophie du marché ne remplace point la philosophie des mœurs. Ce qui est réjouissant, selon King, c'est que les voix se lèvent de plus en plus aux Etats-Unis pour mettre les gens en garde contre la politique de l'égoïsme et du repli sur soi, la cupidité des cadres et la consommation excessive de la minorité riche.»
Ainsi, nous sommes en droit de nous demander : à quel point les peuples pauvres et en développement, seront grièvement touchés lorsqu'ils seront contrôlés par des politiques mondiales intercontinentales qui ne reconnaissent ni la douleur ni la faim ni la fatigue, et ne comprennent pas le sens de la pauvreté, de la maladie ou de l'ignorance ? Sans parler des sangs, des restes corporels, de l'orphelinage et de la fuite dans le désert sans abri, ni nourriture ni médicament ainsi que d'autres scènes difficiles à imaginer pour les riches fortunés et les farceurs qui mettent en danger les destinées des peuples.
Mesdames et Messieurs !
Dans ce cadre plein d'injustices et de tragédies, je trouve que cette rencontre est de grande importance voire même de première nécessité pour assumer la responsabilité de soulager la souffrance de l’Humanité. Aussi, je suis sûr que cette rencontre présente un pas en avant dans la bonne direction et je suis convaincu que les bonnes intentions et la foi sincère en Allah, le Très-Haut, sont capables de dégager les obstacles, voire même de bouger les montagnes.
Soucieux des questions de la paix, al-Azhar est venu à ce Conseil mondial pour discuter la possibilité de mener un travail ou un projet commun entre le Conseil des Sages Musulmans et les Oulémas d'al-Azhar d'un côté et les Sages du Conseil œcuménique des Eglises de l'autre côté. En effet, cette rencontre est la troisième qui réunit al-Azhar et le Conseil des Sages Musulmans à leurs frères chrétiens en Occident. L'année passée, nous avons tenu à l'église de Canterbury une rencontre avec son archevêque alors que la deuxième rencontre a été conclue cette année au Vatican avec le Pape François. Ces deux rencontres ont conduit al-Azhar à appeler à tenir au début de l'année prochaine une conférence internationale de paix à Abu Dhabi et une autre conférence de paix, où le pape François sera présent, le milieu de l'année prochaine en Egypte. J'ai donc le plaisir d'inviter le Conseil œcuménique des Eglises pour assister à ces deux conférences tout en espérant que les jeunes des deux sexes seront bien représentés dans votre délégation. En effet, la visite réussie que vos jeunes avaient rendue à al-Azhar entre le 18 et le 22 août 2016 a laissé un effet profond au Caire sur les médias égyptiens et arabes et aussi sur les réseaux sociaux. Au surcroît, j'étais très heureux de voir la bonne volonté de ces jeunes de participer, autant que possible, dans les projets mondiaux de la paix et de prêcher le discours d’affection au détriment de celui de haine.
Filles et fils!
J'espère que vous ne prêtiez pas vos esprits et vos pensées à ces appels liant faussement le terrorisme à l’Islam, alors que vous connaissez bien que la religion et la violence sont bien ennemies.  
Vous savez bien que les religions célestes n'ont pas été révélées que pour réaliser le bonheur de l'Homme, le sauver de la perte et de l'égarement et le libérer de l'esclavage, de l'oppression et de la tyrannie. De plus, les groupes religieux armés, levant  l'étendard de la religion, lui sont, en premier lieu, traîtres. Sachez bien que le fait de lever l'étendard des religions lors de la pratique du meurtre, de l'égorgement et de l'explosion est un crime dont la religion n’assumera aucune responsabilité.
Vous savez d'ailleurs que des crimes féroces ont été commis au fil des temps au nom de la Croix du fait des interprétations erronées des textes du Livre Sacré et que les musulmans y ont déjà beaucoup payé de leur sang et de leurs familles. Aucun musulman n'osait néanmoins rendre la responsabilité au Christianisme.
J'espère que vous fassiez attention que toutes ces sortes de terrorisme n'ont rien à voir avec l'Islam. Par conséquent, la recherche des origines de ce terrorisme dans le Coran et la Chari'a est à la fois une tromperie pour les gens et une déviation du raisonnement logique et correct.
Ces trompeurs, semant cette calomnie, devaient plutôt chercher les causes du terrorisme dans ce que nous avons déjà mentionné des politiques autoritaires ayant milles poids et milles mesures, des aspirations provinco-internationales, des usines d'armes et des marchés d'armement. Oublier le côté d’Allah, Le nier et se moquer de Ses Prophètes, de Ses Messagers et de Ses Livres représentent le noyau de ces causes.
Merci de m'avoir prêté votre attention !
AssalamuAlikom Wa Rahmatoullahi Wa Barakatouh!
(Que la paix et la bénédiction d'Allah soient sur vous)
Le Grand Imam, Professeur Ahmad A-Ṭṭayyeb, le Cheikh d'al-Azhar.

 

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